C’est sans doute la question que tout le monde se pose dès qu’on se fixe un but. Combien de temps ça va prendre ?
Ça prend sept mois.
Je plaisante.
La vraie réponse, c’est : ça dépend.
Combien de temps ça prend d’aller à Pékin ? Quelle excellente question. Mais en partant d’où ? Et puis en y allant comment : en avion, en train, à vélo, à pieds ? Le voyage peut prendre des heures comme il peut prendre des mois. Tout dépend du lieu de départ et du moyen de locomotion.
Avec les langues c’est pareil : il y a un point de départ (votre niveau actuel) et un moyen de locomotion (votre méthode). Et puis il y a un point d’arrivée (votre but). Si le point d’arrivée n’est pas précis, alors vous ne pourrez jamais dire : je suis arrivé(e).
Demander combien de temps ça prendra d’apprendre une langue, c’est comme aller sur Google Maps, sélectionner un point de départ, ne rien indiquer comme destination ou moyen de transport et demander : « Alors, Google, combien de temps dure le trajet ? ».
Pour savoir combien de temps il vous faudra pour maîtriser une langue, commencez par définir ce que vous appelez « maîtriser » une langue ; ensuite, vous pouvez prendre en considération les facteurs qui, à mon avis, pèsent le plus dans l’équation :
- L’intensité de votre intérêt pour la langue : plus vous êtes intéressé(e) et mieux vous travaillerez, donc plus vite vous progresserez.
- Le temps que vous allez passer à étudier/pratiquer la langue : travailler une heure par semaine n’est pas la même chose que travailler cinq heures par jour. Or le temps que vous consacrerez à la langue dépend, bien sûr de vos disponibilités, mais aussi et surtout du point précédent : votre intérêt.
- L’efficacité de votre méthode : on progresse nettement plus vite avec une méthode qui nous est adaptée. De plus, telle ou telle méthode pourra parfois négliger certains aspects de l’apprentissage (tels que l’expression orale, par exemple).
- Vos connaissances grammaticales et linguistiques : plus vous connaissez de concepts grammaticaux et linguistiques, plus il vous sera aisé d’intégrer le fonctionnement de votre langue cible.
- Le niveau de divergence entre votre langue cible et votre/vos langue(s) maternelle(s) : plus ces langues sont différentes et plus vous devrez fournir d’efforts.
- La complexité de votre langue cible : plus la langue est complexe et plus vous devrez travailler.
On peut classer ces facteurs en trois types : les facteurs externes (le temps dédié à l’apprentissage, la méthode), les facteurs individuels (votre intérêt, vos connaissances en grammaire et linguistique) et les facteurs linguistiques (la divergence entre votre langue cible et votre/vos langue(s) maternelle(s), la complexité de votre langue cible). Vous n’avez aucun pouvoir sur les facteurs linguistiques, mais vous en avez sur les facteurs externes et individuels.
Si vous êtes passionné(e) par la langue, que vous l’étudiez/la pratiquez tous les jours et que votre méthode est efficace pour vous, alors vous progresserez très vite. Je pense qu’on peut tout à fait maîtriser une langue en un mois si on y consacre plusieurs heures chaque jour et qu’on suit une méthode efficace.
Au contraire, quelqu’un qui est très intéressé mais passe peu de temps ou suit une méthode infructueuse aura des résultats plus lents. Vous connaissez tous de ces personnes qui « apprennent l’italien depuis dix ans » mais ne peuvent toujours pas tenir une conversation de plus de trois phrases. Une méthode peu adaptée et un volume de travail trop faible mènent à faire du sur-place.
Le cas le plus pessimiste sera celui d’une personne peu intéressée, qui passe peu de temps à apprendre la langue chaque semaine, et qui étudie avec une méthode peu adaptée. Et ça, c’était moi en classe d’allemand. Spoil : je n’ai rien appris.
Entre le cas le plus positif et le plus négatif, on a un continuum jalonné d’une multitude de situations individuelles. La vôtre est, ou sera, quelque part là-dedans.
Atteindre un niveau vs avoir un niveau
On a dit qu’il était possible de maîtriser une langue en un mois. Alors il suffirait de travailler dur pendant un mois, et ça y est, on parle la langue ?
Je voudrais ici parler de la différence entre atteindre un niveau et avoir un niveau. Prenons la situation suivante : vous décidez d’apprendre par cœur un poème long de deux pages ; pour cela, vous le répétez nuit et jour pendant une semaine, jusqu’à le connaître sur le bout des doigts, puis du jour au lendemain vous arrêtez de le répéter. Que se passerait-il ? Vous souviendriez-vous toujours du poème une semaine plus tard ? Un mois plus tard ? Un an ?
Non, vous l’oublierez. Quelques fragments, quelques mots pourraient vous rester en mémoire, mais le reste peu à peu disparaîtra de vos souvenirs, jusqu’à ce qu’il ne reste plus grand-chose.
Connaître parfaitement une chose à un point donné ne signifie pas la connaître définitivement. Atteindre un niveau ne signifie par avoir durablement un niveau.
De même qu’avec le poème, vous pouvez travailler comme un(e) acharné(e) jusqu’à maîtriser de manière remarquable une langue en un temps record. Disons en un mois. Content(e) de vous, vous arrêtez. C’est bon, vous connaissez la langue, le travail est fait. Que se passe-t-il ?
Il se passe que tout ce que vos efforts intensifs vous auront permis de retenir, vous allez l’oublier si vous ne pratiquez plus la langue.
Il y a un lien direct entre le temps de formation d’une connaissance et la pérennité de cet apprentissage. Autrement dit, plus on a appris durant longtemps, et plus lentement on oubliera. Une personne A qui a un niveau X dans une langue après l’avoir apprise en un mois l’oubliera beaucoup plus vite qu’une personne B qui a le même niveau X dans cette langue, mais qui l’apprend depuis des années. La personne B n’oubliera rien ou presque si elle ne pratique pas pendant quelques semaines ; la personne A, elle, oubliera tout ou presque.
Le temps respecte ce qui respecte le temps. Cette idée est applicable à toutes les formes d’apprentissage : ce qui est appris vite s’oublie vite, ce qui est appris lentement s’oublie lentement. On peut comparer la chose apprise à une construction. On peut construire rapidement une maison, en quelques jours on peut réussir à faire un cabanon en bois ; mais à la moindre intempérie, il prendra l’eau, s’abîmera, s’effondrera. À l’inverse, la construction d’une cathédrale demande des décennies, parfois des siècles. Mais elle sera solide comme un roc, inaltérable face aux tempêtes et aux ouragans, insensible aux années qui passent. Le temps respecte ce qui respecte le temps. Construisez une cathédrale, pas un cabanon.
En résumé, on peut maîtriser très vite si l’on sait s’y prendre, mais on oublie tout aussi vite si on ne pratique pas une fois le niveau voulu atteint. Comment vaincre la fatalité de l’oubli, alors ? Une réponse : en donnant le temps au temps.
Maîtriser durablement une langue est un travail sur le long terme, peu importe à quelle vitesse vous atteindrez un niveau respectable dans la langue. L’apprentissage d’une langue n’est pas un sprint, mais un marathon.
Afin de ne pas oublier la langue une fois que vous êtes satisfait(e) de votre niveau, vous pouvez ou bien continuer de l’étudier et la pratiquer comme sujet d’apprentissage, ou bien passer à un emploi réel de la langue afin de ne plus l’étudier, mais l’utiliser. Parler avec des amis qui parlent la langue, l’utiliser au travail, lire des livres et articles, regarder des films, écrire dans la langue… toutes les activités de votre quotidien où vous utilisez votre langue maternelle sont transposables à une autre langue.
La formule idéale est, à mon avis, un mélange d’usage réel de la langue et d’étude, afin de non seulement maintenir votre niveau, mais aussi de toujours progresser tout en prenant plaisir et en profitant de votre maîtrise de la langue.