Pourquoi je préfère apprendre sans professeur

Claire

Je n’aime pas avoir de professeur. C’est ironique quand on sait que je donne moi-même des cours de langue ou de musique. Je n’ai rien contre les professeurs en soi, bien au contraire : je trouve que l’enseignement est une des plus belles choses que puisse faire un humain, et presque tout ce que je sais ou sais faire, je le dois à quelqu’un qui me l’a appris.

Mais avoir un(e) professeur me met souvent mal à l’aise, et aujourd’hui, je préfère être aussi indépendante que possible quand j’apprends une nouvelle chose, et surtout s’il s’agit d’une langue.

Bien sûr, je comprends tout à fait que, perdue devant un océan d’informations nouvelles et parfois incompréhensibles, une personne qui n’a jamais appris seul(e) une langue ait besoin d’avoir un professeur, et c’est déjà génial d’avoir franchi le pas et décidé d’apprendre cette langue.

Ce qui suit n’est donc rien de plus que mon ressenti personnel. Voici les trois grandes raisons pour lesquelles je préfère apprendre sans professeur.

1. La hiérarchie

La relation de professeur à élève est rarement une relation d’égal à égal. Le professeur est supérieur, l’élève est inférieur ; le professeur sait, l’élève ignore ; le professeur donne un ordre, l’élève obéit ; le professeur parle, l’élève écoute. Je comprends l’intérêt de ce système quand il s’agit d’éduquer des enfants et de leur inculquer la discipline, la patience et le respect des aînés.

Mais je ne suis pas un enfant.

Si j’apprends quelque chose, j’aime me sentir à l’aise, j’aime pouvoir parler librement, j’aime sentir que l’autre ne me prend pas de haut. Malheureusement, c’est souvent perdu d’avance quand on entre dans le rôle d’élève, et j’ai connu bien des mauvaises expériences.

Pour apprendre une langue, j’aime parler avec des correspondants. Or un beau jour, je suis tombée sur un correspondant qui se trouvait être enseignant de russe. Je n’ai pas eu le temps d’ouvrir la bouche, il m’a présenté – tout en anglais – son programme pour m’enseigner le russe, puis il m’a fait passer des tests de grammaire, jusqu’à enfin trancher que j’avais un niveau avancé et qu’il ne voyait pas ce qu’il pouvait m’enseigner. Et seulement à ce moment-là j’ai pu l’informer, en russe, que je parlais la langue, que je l’apprenais depuis plusieurs années. Il aurait pu tout simplement me demander mon niveau au début.

Les professeurs pensent souvent que l’élève est ignorant par défaut. J’imagine que vous aussi, vous avez en mémoire des moments où quelqu’un vous a expliqué une chose que vous saviez déjà. Les professeurs partent fréquemment du postulat que l’élève n’est pas capable de juger lui-même de son niveau, de ses points forts et de ses lacunes. Ils ne lui laissent pas forcément non plus la possibilité de choisir ce qu’il va étudier, tant pour la théorie que pour les supports d’entraînement – ce que l’on peut concevoir pour certaines disciplines, mais qui n’est pas toujours une approche agréable pour les élèves qui apprennent de manière autonome.

Et gare à toi si tu te permets de contrarier un professeur en essayant d’établir une relation d’égalité : certains orgueils mal placés auront vite fait de t’écraser pour te remettre à ta place – je pense plus particulièrement aux professeurs de musique. Les anciens musiciens dégoûtés de leur instrument par un professeur mauvais pédagogue témoigneront.

Je ne nourris pas pour autant une haine aveugle contre tous les professeurs, bien évidemment, et je comprends cette attitude des enseignants qui se placent au-dessus de l’élève. Cette posture dominatrice est, je pense, liée à la tradition académique, autrement dit à l’école, ce qui est compréhensible : quand on a face à soi vingt ou trente individus, et à plus forte raison des enfants, il faut savoir se faire respecter pour assurer son autorité et l’ordre dans la classe.

2. La distance créée

Quand on étudie une langue avec un professeur, il se crée une distance avec cette langue. Le format académique et les contenus scolaires la transforment en simple objet abstrait et complexe. Si je suis assise avec un professeur qui me fait faire des exercices, je ne peux pas imaginer que des populations entières vivent dans cette langue, là-bas, dans d’autres pays. Je ne peux pas imaginer que des gens se disputent, blaguent, réfléchissent, disent des mots doux dans cette langue, qu’ils la parlent tous les jours de leur vie. Que certaines personnes ne parlent que cette langue-là, et aucune autre.

Alors je préfère largement me débrouiller seule, sans professeur, et aller là où la langue est vivante, là où elle est utilisée, là où les gens se gargarisent de cette langue du matin au soir. J’aime la langue vivante, pas figée sur des pages de manuels avec des dialogues artificiels qui n’ont rien à voir avec la vraie vie. C’est aussi la raison pour laquelle je préfère toujours utiliser du contenu réel pour pratiquer, et pas des cahiers de langue ou des podcasts.

3. La perte d’autonomie

Quand on a un professeur, l’attitude ordinaire de l’élève est de se contenter de ce que lui donne l’enseignant. Entre deux cours, l’élève ne fait rien ou, au mieux, juste ce qu’il lui a été demandé de faire. Il se laisse nourrir par le professeur et ne va pas explorer plus loin. Et il s’attend à ce que, magiquement, ça suffise.

Mais ça ne suffit pas, pas pour apprendre une langue. Vous connaissez probablement des personnes dont les progrès sont étalés sur trois ans, cinq ans, dix ans, qui manquent de pratique et ne peuvent pas vraiment parler la langue.

C’est très simple : sans pratique, on progresse au ralenti. C’est comme si vous vouliez ériger un bâtiment, mais sans passer par l’étape de construction. Si la pratique se résume à une heure par semaine, le bâtiment prendra pas mal de temps à se construire.

Mais notre vie est limitée, je ne veux pas prendre cinq ou dix ans pour pouvoir tenir une conversation de base. Si j’aime la langue que j’apprends, je veux pouvoir l’utiliser sans devoir patienter pendant des années à la contempler de loin, tenue par cette distance scolaire dont je parlais plus tôt, regardant de loin, très loin ces conversations réelles dans la langue.

Pour vraiment progresser, pour pouvoir parler la langue rapidement, il faut l’employer autant que possible, tous les jours si c’est réalisable. Il faut découvrir comment on aime utiliser la langue afin de pratiquer. Il faut se demander à soi-même, avec honnêteté, où sont nos failles. Il faut les combler en cherchant, soi-même, des explications pour comprendre ce qui nous fait obstacle, et il faut appliquer ce qu’on a découvert, afin de construire sa maîtrise de la langue. Car il faut construire soi-même sa maîtrise de la langue, et non pas se contenter d’attendre passivement que quelqu’un d’autre le fasse pour nous. Tout ce qu’il faut, c’est pratiquer, et il existe de nombreuses méthodes éprouvées pour cela. Une heure de cours par semaine, c’est bien, mais ce n’est pas assez.

Bien sûr, c’est une tout autre histoire si l’élève est actif de son côté, si les cours avec le professeur sont juste une de ses différentes pratiques de la langue. Dans ce cas, il pourra tirer le meilleur de ces cours : des corrections fiables, des explications données par un(e) spécialiste, des réponses à ses questions.

Voilà donc pourquoi je préfère apprendre seule, ou pourquoi je n’aime pas avoir de professeur.

J’apprends en autodidacte, alors je suis complètement libre, je travaille ce que je veux, quand je veux, où je veux et avec les supports que je veux. Pour pratiquer à l’oral de manière réelle, je fais des échanges linguistiques où je parle avec des correspondants qui sont eux aussi des apprenants autodidactes. Il n’y a alors ni hiérarchie, ni condescendance, la relation est complètement égalitaire, chacun fait de son mieux et on se motive mutuellement. Enfin, comme je suis la seule garante de mes progrès, je ressens cette responsabilité qui me pousse à travailler vraiment, à être active et à construire ma maîtrise de la langue, et pas juste attendre le prochain cours en me tournant les pouces.

Mais si je devais prendre un professeur pour apprendre une langue, j’aurais donc deux critères primordiaux : qu’il soit un bon pédagogue, dont le rapport humain me mette à l’aise ; et qu’il s’adapte à mes demandes, mes besoins et mes goûts. Je ne veux pas d’un chef, je veux un compagnon de route qui connaît le chemin.

J’espère que cet article vous aura motivé à apprendre encore plus, à bâtir votre autonomie d’apprentissage si ce n’est pas déjà fait, et à repousser toujours plus vos capacités d’auto-formation !

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