Apprendre une langue avec des correspondants

Claire

Quand on pense au mot correspondant, on se rappelle les fois où, à l’école ou au collège, on avait correspondu avec une autre classe, ailleurs en France ou à l’étranger, et on s’était échangé des lettres écrites à la main avec des dessins plus ou moins moches. Pour apprendre une langue, ce n’est pas tout à fait la même chose.

Bien sûr, on peut avoir un correspondant de langue avec lequel on s’envoie des lettres ou des mails. Mais c’est encore mieux d’avoir un correspondant avec lequel dialoguer en direct, par chat, messages audios ou webcam. Le dynamisme de la discussion, la spontanéité des réponses favorise l’apprentissage de la langue : le cerveau vise toujours le meilleur résultat pour le moindre effort. Certains disent par là qu’il est paresseux ; je dirais plutôt qu’il est efficace. Donc, si vous écrivez tranquillement votre mail, votre cerveau sait qu’il a tout son temps pour aller chercher des traductions de mots, ou vérifier que ce que vous avez écrit est correct. Pas besoin de mémoriser les mots, donc : il est plus simple d’aller les chercher à chaque fois que c’est nécessaire. Plus de résultat, moins d’efforts.

Mais si vous échangez en direct avec quelqu’un, vous n’avez pas le temps d’interrompre la conversation pour aller chercher cinq mots à chaque phrase. Le plus efficace dans ce cas est d’avoir en mémoire le vocabulaire ; lorsque vous utilisez la langue dans une conversation en direct, vous incitez votre cerveau à mémoriser les mots afin de ne pas avoir à les chercher à chaque fois, et donc être plus efficace en situation de conversation. De cette manière, vous apprenez mieux le vocabulaire.

Chat, messages audios ou appel ? Je pense que chacun a ses avantages, il faut choisir selon votre niveau et vos besoins. Le chat est très utile pour construire votre vocabulaire ; vous avez le temps de chercher les mots que vous ne connaissez pas, et vous apprenez à les associer rapidement, à faire des phrases complètes. Le chat est aussi intéressant pour les personnes qui parlent une langue mais ont du mal avec l’écrit. Les messages audios vous habituent à entendre la langue parlée tout en vous donnant le temps de réécouter ce que vous ne comprenez pas. Quant à l’appel, il est la forme de pratique orale la plus proche d’une vraie conversation de vive voix : vous n’avez pas le temps d’aller chercher des traductions de vocabulaire, vous devez construire vos phrases dans le train de la conversation, vous ne pouvez pas revenir en arrière pour réécouter ce qu’on vous a dit ou effacer ce que vous venez de dire ; c’est avec cette forme de pratique que vous progresserez le plus. Avec la pratique, vous acquérez la compétence de comprendre et parler sans avoir à traduire dans votre tête.

À mon avis, cette compétence ne peut s’acquérir que par la pratique, c’est-à-dire en parlant et en entendant quelqu’un parler.

Vous pouvez parler et entendre quelqu’un parler sans avoir de correspondant : vous pouvez parler seul en vous promenant, chez vous, ou penser dans la langue ; et vous pouvez regarder des vidéos, des films dans la langue que vous apprenez, écouter la radio, regarder la télévision. Ce sont des moyens très efficaces pour apprendre à parler et à comprendre ce qu’on vous dit. Mais aucune de ces pratiques ne sera aussi complète que le dialogue réel.

Pourquoi un correspondant, et pas un locuteur en chair et en os ? Parce que lorsque vous cherchez un compagnon de langue sur un site d’échange linguistique, vous pouvez être sûrs de tomber sur quelqu’un qui a envie de passer du temps avec vous pour faire un échange linguistique : vous pratiquez sa langue maternelle, il/elle pratique la vôtre, donnant-donnant. Vous pouvez ainsi parler une heure, deux, trois voire plus par semaine. Tandis qu’un locuteur random trouvé dans votre ville n’aura pas nécessairement l’envie ou le temps de vous accorder une heure de pratique de la langue par semaine. Si il en a le temps et l’envie, tant mieux ! Dans tous les cas, il est très bénéfique de parlez la langue autant que possible, dès que vous en avez l’occasion.

Avoir un correspondant ou plusieurs ? Je préfère chercher toujours plusieurs correspondants : je ne suis pas une personne très sociable, alors je sais qu’en cherchant plusieurs personnes, j’aurai plus de chances de trouver quelqu’un avec qui je m’entends bien. Avoir plusieurs correspondants signifie aussi avoir plus de pratique dans la langue, et ça, c’est toujours bien. Enfin, chaque personne a sa propre façon de parler. Vous apprendrez plus au sujet de la langue si vous avez plusieurs correspondants que si vous apprenez avec une seule personne.

À garder à l’esprit cependant : le locuteur natif est un locuteur naïf. Savez-vous marcher ? Savez-vous courir ? Hocher la tête ? Cligner des yeux ? Pour la plupart d’entre nous, la réponse sera « oui ». Maintenant, sauriez-vous expliquer comment vous conservez votre équilibre lorsque vous marcher ? Sauriez-vous expliquer quels muscles vous activez lorsque vous courez, et comment vous faites pour prendre de la vitesse ? Sauriez-vous dire comment vous faites pour synchroniser vos muscles du cou et de la nuque quand vous hochez la tête ? Sauriez-vous dire comment vous faites pour fermer vos paupières simultanément, automatiquement ?

On ne sait pas, on fait tout ça sans réfléchir, intuitivement. Nous utilisons notre corps, mais nous ne sommes (généralement) pas médecins. Nous n’avons pas besoin de savoir consciemment comment marche notre corps pour l’utiliser. Il en va de même pour la langue.

Pourquoi dit-on « je ne veux pas le faire » et non « je ne le veux faire pas » ? Pourquoi préfère-t-on « une table basse » à « une basse table » ? Pourquoi « je n’en sais rien » et « je ne sais rien » ne veulent-ils pas dire la même chose ? Toutes ces questions ont une réponse logique, linguistique, mais il est difficile d’y répondre sans y réfléchir une minute. On utilise quotidiennement notre langue, mais on ne sait pas vraiment comment elle marche : les locuteurs n’ont généralement pas une formation de grammairien. On a bien eu des cours de français jusqu’au lycée, mais je pense pouvoir affirmer sans trop d’hésitation que tout le monde les a détestés et ne veut plus jamais entendre parler de propositions subordonnées relatives. En bref, nous utilisons la langue, mais nous ne sommes (généralement) pas linguistes. On dit de ce phénomène que les locuteurs natifs sont « naïfs ». Où veux-je en venir ?

Lorsque vous apprenez une langue avec un professeur, il a une formation linguistique au moins pour sa langue. Il peut vous donner des explications, vous présenter des règles, répondre à vos questions. Mais lorsque vous apprenez avec un correspondant, celui-ci ne risque pas seulement de faire des erreurs d’orthographe quand il écrit ; il est surtout probable qu’il ne puisse pas répondre à vos questions au sujet de la langue. « Mais pourquoi dit-on ceci ici, et pas là ? » : peut-être votre correspondant aura-t-il la réponse, peut-être ne l’aura-t-il pas, peut-être encore essayera-t-il de comprendre et vous donnera une réponse qui n’est en fait pas la bonne.

Vous pouvez tomber sur un(e) correspondant(e) qui a une formation de linguiste ou qui est professeur de langue, auquel cas vous saurez que la plupart de vos questions trouveront une réponse. Gardez seulement à l’esprit que ce n’est pas le cas de tous les locuteurs, et il vous incombera alors de chercher des réponses à vos questions. Le correspondant est un locuteur, pas un professeur.

Les avantages à avoir des correspondants

C’est en bûchant qu’on devient bûcheron ; c’est en parlant une langue qu’on apprend à la parler. La meilleure des pratiques, celle qui inclut toutes les autres, c’est de parler. Dans l’enfance, c’est ainsi que l’on acquière notre/nos langue(s) maternelle(s) : en entendant l’entourage parler, et en produisant à son tour. Lorsqu’ils arrivent à l’école, les enfants développent leurs compétences écrites et leur vocabulaire, mais ils savent alors déjà parler. Le dialogue construit notre maîtrise de la langue. Avoir un ou des correspondants, c’est avoir l’occasion d’entendre et de parler la langue.

C’est aussi l’occasion de travailler votre accent avec l’aide de quelqu’un qui pourra vous signaler quand votre prononciation peut être améliorée, et vous donner la prononciation exacte autant de fois que vous en aurez besoin. De même si vous cherchez un mot, ou comment dire une phrase, ou si vous voulez être corrigé(e) : votre correspondant pourra vous donner ce mot, cette phrase, cette correction.

Un autre avantage à avoir des correspondants est que votre pratique de la langue deviendra tout à fait réelle : il ne s’agira plus de podcasts ou de manuels où des dialogues artificiels ont été créés pour vous aider à apprendre. Il s’agira d’une personne réelle, qui parle la langue à une vitesse naturelle, qui l’a utilisée toute sa vie et l’utilise tous les jours, et avec qui vous pourrez avoir de vraies conversations. La langue n’est plus une entité abstraite, mais la réalité de la vie de toutes les personnes avec qui vous pourrez parler. Je trouve ça incroyablement motivant de savoir que les gens vivent dans la langue que j’apprends !

En cherchant des correspondants, vous découvrez plein de personnes, mais aussi un nouveau regard sur le monde, une nouvelle culture. On peut voyager juste en parlant avec quelqu’un. Parfois, on fait de belles rencontres, et le correspondant devient un ami avec le temps. Aujourd’hui, quand on me demande comment j’ai appris le russe, je ne réponds plus « avec des correspondants », mais « avec des amis ».

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