Il ne faut pas forcément supprimer son accent étranger.
L’autre jour, j’ai rencontré une fille polonaise qui avait appris le français et le russe. Elle avait cru que j’étais russe en m’entendant parler la langue, et quand je lui ai expliqué que j’avais beaucoup travaillé sur mon accent, elle m’a dit qu’elle voyait les choses d’une manière très différente : « Je veux garder mon accent polonais, c’est une partie de mon identité ».
On peut effectivement voir ainsi les choses : notre accent, c’est notre signe d’appartenance à un groupe linguistique, c’est une facette de notre identité. Et puis avoir un accent peut être très attirant !
Moi j’aime beaucoup avoir un accent aussi fidèle que possible dans les langues que j’apprends, je me sens plus proche de la communauté linguistique, et ça me rend si heureuse quand on me prend pour une locutrice native du russe. C’est à chaque fois une petite victoire !
Travailler votre accent vous permettra d’être plus facilement compris(e), de vous sentir plus à l’aise avec la langue et même, si vous en avez envie, d’être pris(e) pour un(e) natif/native. Dans cet article, j’aimerais donc partager avec vous des conseils et des techniques pour améliorer votre accent.
Je souhaite préciser avant de commencer qu’il n’y a pas de « mauvais » accent dans le sens où il n’y a pas d’accents absolument meilleurs que d’autres. Ne soyez donc pas abusé par les termes « prononcer mal » ou « corriger » : un accent n’est pas mauvais comme indésirable en soi et pour soi, mais dans le sens « différent de celui que l’on souhaite » dans la mesure où l’apprenant viserait à avoir un accent plus proche de celui d’un natif.
Les composantes de l’accent
Commençons d’abord par examiner les composantes d’un accent étranger :
- La connaissance des règles de lecture : il faut savoir que G+L font un son L mouillé (en API /ʎ/) en italien pour lire le mot famiglia.
- La connaissance et réalisation des phonèmes : pour pouvoir prononcer le français, il faut maîtriser les trois sons vocaliques nasaux – les voyelles de vin, vont et vent.
- La connaissance et le respect de l’accent tonique, des tons, de l’accent de hauteur : en russe, les mots му́ка (múka) et мука́ (muká) ne veulent pas dire la même chose.
- La réalisation des phénomènes frappant les syllabes : en italien, ano et anno non plus ne veulent pas dire la même chose.
- La production de l’articulation, de l’intonation, de la prosodie.
En théorie, si vous réalisez bien chacun de ces aspects, votre accent est semblable en tous points à celui d’un(e) natif/native. Mais il y aura bien sûr des points particulièrement difficiles selon la langue que vous apprenez. De manière générale, plus la phonologie d’une langue est complexe et différente de celle de votre langue maternelle, plus elle sera dure à acquérir.
Les composantes ci-dessus sont classées par ordre d’importance : les premières sont les plus essentielles pour que l’on vous comprenne, et les dernières sont les plus subtiles pour parfaire votre accent. Concrètement, si vous avez une intonation exceptionnelle mais que vous lisez lettre par lettre la phrase « Loin des oiseaux, des troupeaux » , on comprendra difficilement ce que vous dites. Construisez des bases solides avant de vous passer à des points plus avancés.
Voyons maintenant comment améliorer votre accent.
1. Travailler avec un(e) natif/native de la langue
La plus grande aide dont vous puissiez disposer pour travailler votre accent, c’est celle d’un locuteur natif. Il peut s’agir d’une simple connaissance, d’un membre de groupe de langue, d’un collègue, d’un camarde de classe, d’un voisin, d’un ami, d’un parent, d’un partenaire linguistique trouvé sur internet… Nous disposons à notre époque d’innombrables ressources pour trouver quelqu’un qui puisse nous aider. Avoir un partenaire linguistique est à mon avis un élément essentiel dans l’apprentissage de n’importe quelle langue.
Impossible d’améliorer son accent sans entendre la langue. Grâce à ce locuteur natif, vous pourrez entendre les mots, être vous-même entendu(e), obtenir une critique constructive de votre accent. Il est difficile de s’améliorer sans avoir de recul sur notre prononciation, ni de modèle de référence à imiter. Avoir un(e) partenaire linguistique vous aidera considérablement à progresser dans votre prononciation de la langue. Demandez-lui d’être très sévère ; plus il/elle vous reprendra, plus vous pourrez prendre conscience des points sur lesquels il vous faut travailler.
2. Mélanger compréhension et mise en pratique
Quel que soit le point sur lequel vous travaillez, mélangez la compréhension et la mise en pratique : la compréhension consiste à déterminer en quoi votre prononciation diffère de celle d’un(e) locuteur/locutrice natif/native, puis à cerner la manière de prononcer plus fidèlement. Il est dur d’avancer à l’aveugle : comprendre ce que vous devez faire et comment le faire vous aidera à le faire, donc à progresser. Vous pouvez commencer par essayer de déterminer lesquelles des composantes sont concernées par votre accent.
Écoutez attentivement, renseignez-vous afin de comprendre ce qu’il y a à améliorer ; répétez, produisez, imitez pour intégrer le trait voulu.
La compréhension et la mise en pratique peuvent bien sûr s’entremêler. Imaginons que vous vouliez mieux prononcer le mot allemand einschlafen (s’endormir). Vous allez demander à quelqu’un de le prononcer (découverte), puis vous allez le répéter et remarquer quels sons vous ne prononcez pas de la même manière (production, comparaison), réécouter attentivement la prononciation native (analyse) et essayer de l’imiter (mise en pratique, assimilation).
3. Aller du plus simple au plus complexe
Partez toujours de tronçons courts avant de les associer pour obtenir des éléments plus longs. Cette méthode de décomposition-recomposition permet de travailler réellement dans le détail.
Reprenons notre verbe allemand : au lieu de juste répéter le mot entier, vous pouvez demander à votre partenaire linguistique de le prononcer une syllabe après l’autre. Répétez après lui syllabe par syllabe, ein – schla – fen, jusqu’à ce que chacune soit vraiment satisfaisante, puis associez-les, ein – schlafen jusqu’à recomposer le mot entier, einschlafen. Travailler sur des ensembles plus courts affinera votre oreille, votre accent sera au final bien meilleur.
La décomposition-recomposition est d’autant plus utile si vous êtes confronté(e) à un mot long, tel que Sehenswürdigkeit (monument) en allemand ou достопримичательность en russe (dostoprimichatel’nost’, même sens). Vous n’avez sans doute que survolé du regard ces mots, mais vous pouvez les lire réellement si on les décompose : Sehen – wür – digkeit, dosto – primi – chatel’ – nost’.
Cette méthode de travail d’aller du plus simple au plus complexe s’applique pour comprendre et intégrer n’importe quoi, qu’il s’agisse de phonologie ou de quoi que ce soit d’autre.
4. Lire à voix haute
En plus de vous habituer à lire la langue et de vous faire découvrir de nouveaux mots et de nouvelles formulations, lire à voix haute vous permet de faire le point sur votre prononciation et de la pratiquer. Vous déterminerez vite quels mots ou sons vous posent problème ; notez-les, travaillez-les un par un puis revenez au texte plus tard pour voir vos progrès.
Vous pouvez aussi lire à voix haute avec un(e) natif/native qui pourra vous corriger si vous faites des erreurs ; seul(e), on n’a pas toujours conscience qu’on prononce mal un mot.
5. Travailler les phonèmes de manière approfondie
Cette partie est à mon avis la plus importante. Je vous invite à consulter l’article sur les phonèmes pour mieux comprendre ce dont il s’agit.
Le travail à effectuer si vous souhaitez améliorer votre accent consiste à travailler votre prononciation de tous les phonèmes de la langue. Car il est probable que la grande majorité d’entre eux ait une prononciation différente de celle de votre langue maternelle.
Un exemple flagrant : le R français n’est clairement pas identique au R anglais, ou au R roulé d’autres langues romanes. Si un apprenant du français prononce les R comme dans sa langue maternelle, ça sautera aux yeux. Ce son seul est un « mini-accent », il suffit à trahir l’accent global de l’apprenant.
C’est de cela qu’est fait notre accent à tous lorsque nous parlons une langue étrangère : notre accent, c’est notre collection personnelle de mini-accents, autrement dit les phonèmes que nous prononçons par le filtre de notre langue maternelle. Plus la phonologie de votre langue cible diffère de celle de votre langue maternelle, plus vous aurez de mini-accents ; il faut alors littéralement tout réapprendre.
À noter qu’on corrige seulement ce dont on a conscience : le R est un phonème très facilement identifiable, mais un K trop dur ou pas assez n’est pas aussi flagrant. C’est pour cela que je recommande de passer en revue absolument tous les phonèmes de la langue que vous apprenez : ainsi, vous prendrez conscience de tous vos mini-accents.
Si on peut établir une collection type de mini-accents d’une communauté linguistique déterminée apprenant une langue étrangère déterminée (ex. les anglophones apprenant le français) en comparant la phonologie des deux langues, chaque individu a sa propre collection de mini-accents, selon sa capacité d’imitation, les autres langues qu’il parle et son travail personnel sur son accent. Nous avons tous corrigé certaines choses, pas remarqué ou fini de résoudre d’autres. C’est ce travail minutieux sur mes propres mini-accents qui m’a le plus aidée à améliorer mon accent en russe.
La première étape du travail sur les phonèmes est de prendre conscience de ses mini-accents personnels.
Étape 1/2 : identifier vos mini-accents
Lisez des mots isolés, puis des phrases, puis un texte d’une dizaine de ligne devant votre partenaire linguistique (si vous n’en avez pas, enregistrez-vous). Demandez-lui de surligner les mots ou syllabes où votre accent ressort le plus ; pour faciliter ce travail de repérage, lisez lentement et de la manière la plus articulée possible.
Si vous êtes seul(e), faites vous-même cette analyse, en comparant vos enregistrements avec des modèles ; vous pouvez en trouver sur Forvo, Reverso Context, Wiktionnaire, HiNative… Travailler seul(e) sera plus ardu, car votre accent ne vous sautera pas aux yeux comme il le ferait pour des natifs.
Plus vous lirez de mots, phrases et textes et plus vous pourrez identifier de mots ou syllabes concernés par votre accent ; cet échantillon de mots et syllabes servira de base de données pour identifier vos mini-accents.
En répétant avec votre partenaire les mots ou syllabes soulignés, déterminez quels sons précis sont concernés. Il est possible que tous les sons d’un mot soit concernés, auquel cas votre partenaire remarquera et vous signalera naturellement ceux où votre accent est le plus prononcé.
Par exemple, si un francophone prononce le mot russe malako (le lait, молоко) en lisant comme s’il s’agissait de français, la plus grosse erreur de prononciation sera, je pense, le L trop mou. Si son L est correct, l’erreur la plus grave sera le son A trop ouvert. Si les A sont déjà bons, l’erreur la plus visible sera le K trop doux. Enfin si le K est aussi bon, le seul mini-accent restant sera le son O qui doit être fait bien fermé. Comme je vous disais, tout est à réapprendre.
Quand votre base de données est assez fournie, listez les syllabes/phonèmes concernés par votre accent. Vous pouvez faire une catégorie voyelles et une catégorie consonnes. Avec un échantillon assez important, vous verrez des erreurs récurrentes – par exemple, tous vos TH sont maladroits quand vous lisez l’anglais, ou encore tous vos V sont bizarres en espagnol. Travaillez ces erreurs-là en priorité : elles sont le plus gros de votre accent.
Étape 2/2 : corriger vos mini-accents
Afin de corriger vos mini-accents, visez les jalons suivants :
- Entendre la différence entre votre prononciation et la prononciation correcte
- Réussir à bien prononcer le phonème ne serait-ce qu’une fois
- Intégrer le phonème à votre prononciation pour bien le réaliser à chaque fois
Travaillez sur les phonèmes en vous concentrant sur un à la fois. Constituez une liste de mots où il est présent, voire trouvez un texte qui le répète souvent (un virelangue, un poème, une chanson…). Il sera plus facile de travailler avec un texte court ; dans l’idéal, quelques phrases où abonde le son que vous voulez travailler. Vous pouvez créer vos propres phrases à l’aide de la liste de mots déjà constituée. La répétition est la clef. C’est grâce à un simple virelangue que j’ai réussi, après beaucoup d’entraînement, à rouler mes R.
Afin d’acquérir une prononciation correcte du phonème, répétez toujours après un locuteur natif : imitez aussi fidèlement que possible. Vous pouvez suivre un schéma 1-3 : votre partenaire prononce le mot une fois, vous répétez trois fois. Ainsi votre partenaire peut vous signaler si une des trois fois était meilleure, pour vous guider à la manière du jeu « tu chauffes – tu refroidis – tu brûles ». Procédez par décomposition-recomposition si nécessaire.
Si vous avez du mal à entendre la différence entre votre prononciation et la prononciation correcte, demandez à votre partenaire d’allonger le phonème en question.
Par exemple, si vous avez du mal avec le son Y (Ы) en russe et travaillez avec le mot tykva (citrouille, тыква), vous pouvez demander à votre partenaire d’allonger cette voyelle : tyyyykva, tykva. Répétez à l’identique en vous appliquant sur le Y. Autre exemple avec une consonne, le CH allemand : ichhhhh, ich.
Allonger le phonème vous aidera à bien l’entendre et à bien le reproduire. Pour des raisons strictement physiologiques, cet exercice n’est pas applicable aux consonnes occlusives (à l’exception du M et du N) qui sont par nature courtes. On ne peut pas prononcer sur plusieurs secondes « T » ou « B ». Mais vous pouvez toujours essayer.
Vous pouvez aussi procéder par contraste : les sons forment souvent des paires que l’on peut opposer, par exemple, le son E fermé de deux vs le son E ouvert de neuf, ou encore les consonnes mouillées en russe (т/ть, л/ль…). Faites des phrases où se répètent beaucoup ces deux sons, voire uniquement ces deux-là, afin de bien entendre la différence : « Le jeu neuf de l’heure bleue de Fleur »…
Une fois que vous parvenez à prononcer correctement le son qui vous posait problème, tâchez de l’intégrer consciemment à votre prononciation lorsque vous vous exprimez dans la langue.
6. Faire du shadowing
Le shadowing, de l’anglais shadow (ombre), est une méthode de travail de l’accent décrite par le professeur Alexander Argüelles, un linguiste qui a « voué sa vie à apprendre autant de langues étrangères que possible, aussi bien que possible ».
La méthode du shadowing consiste à répéter à l’identique un contenu audio (enregistrement, podcast, vidéo) sans faire de pause, c’est à dire que vous écoutez et vous répétez simultanément, avec un décalage d’une seconde ou deux, pour assurer la fidélité de l’imitation. Vous devez donc choisir un contenu à vitesse confortable, suffisamment bien articulé, et mettre le volume à telle intensité que vous puissiez entendre à la fois l’audio et votre propre voix. Si vous ne pouvez pas répéter les mots précis, marmonnez pour gardez le rythme. Cette méthode permet d’intégrer les phonèmes, le rythme et les intonations de la langue.
Cet exercice étant intense, les sessions ne devraient pas excéder quinze minutes.
7. Utiliser le mumbling
Le mumbling (marmonnement) ou pitch humming (fredonnement) est le fait de répéter une phrase mais sans en prononcer les mots, bouche close, avec des « mh-mh ». On isole ainsi le rythme et l’intonation de la langue.
On peut aussi bien le faire avec d’autres syllabes, « na-na-na », « da-da-da ». Ce procédé s’apparente à l’usage de logatomes (= mots inventés qui n’ont aucun sens, tels que roumer ou artilbain) dans le travail de l’accent.
Chaque langue a ses propres schémas intonatifs, et appliquer celui de sa langue maternelle est une des composantes de notre accent. Le mumbling est une méthode très efficace pour intégrer la mélodie de la langue apprise. Pour en savoir plus, je vous recommande cet excellent article qui décrit de manière détaillée la méthode.
8. Chanter
Lorsque l’on chante dans une autre langue, on imite automatiquement la prononciation du chanteur/de la chanteuse, et notre accent se retrouve de fait amélioré. Je me souviens de cette jeune femme états-unienne qui chantait en français sans le moindre accent, alors qu’elle ne parlait pas la langue.
Autre avantage des chansons : la répétition est un élément essentiel pour améliorer son accent, or les chansons utilisent souvent des répétitions, par exemple un groupe de mots (« Yellow submarine, yellow submarine, yellow submarine, we all live in a… ») ou le refrain qui revient au moins trois fois dans toutes les chansons.
Prenez donc vos chansons préférées et chantez-les : c’est une excellente manière de travailler son accent. Les chansons sont particulièrement utiles pour intégrer les phonèmes et les accents toniques.
9. Écoutez la langue
Pour bien prononcer la langue, il est essentiel de l’entendre, d’être exposé(e) à la langue. De la même manière qu’il est plus facile de reproduire un dessin si on l’a sous les yeux, il est plus facile d’imiter les sons de la langue quand on les entend ou les a en mémoire. Écoutez, entendez la langue autant que possible, même si c’est juste un fond de musique ou de radio : en vous mettant la langue dans l’oreille, il sera beaucoup plus facile de bien la prononcer.
En résumé
- Travaillez avec un(e) natif/native de la langue
- Mélangez compréhension et mise en pratique
- Allez du plus simple au plus complexe
- Lisez à voix haute
- Travaillez les phonèmes de manière approfondie
- Utilisez le shadowing
- Et le mumbling
- Chantez
- Et surtout, écoutez !
En espérant que ces conseils vous servent !