Comment on tue une langue

Claire

En septembre 2024, il y a tout juste quatre mois, j’ai commencé une formation intensive de breton. L’organisme formateur est spécialisé, les stagiaires (tous et toutes adultes) viennent en cours du lundi au vendredi, trente-cinq heures par semaine. La formation dure six mois ; si tout se passe bien, on finit avec un niveau B2 ou C1.

Quand je me suis mise au breton, j’avais en tête qu’il y avait environ 207 000 locuteurs. C’est très peu. Ce sont seulement 6,2 % des Bretons qui parlent leur langue.

Moi, je commençais tout juste, je ne faisais pas partie de cette population bretonnante. Après quatre mois de formation, j’ai officiellement atteint le niveau B1 en breton, de même que les treize autres stagiaires de ma formation. On passe l’évaluation demain. Mais aujourd’hui, je découvre le dernier rapport sociolinguistique sur l’état du breton, sorti le 20 janvier 2025.

Aujourd’hui, je fais partie des 107 000 personnes qui parlent breton.

Le dernier rapport datait de 2018. En à peine sept ans, le nombre de bretonnants a été divisé par deux.

Oui, je savais bien que l’immense majorité des bretonnants était des personnes âgées. Je savais que, les années passant, ces personnes allaient s’éteindre. Mais je ne m’attendais pas à découvrir que la moitié des locuteurs pouvait disparaître en moins d’une décennie. Qu’elle allait disparaître en moins d’une décennie.

Il y a un peu plus de cent ans, au début du 20e siècle, c’était 100 % de la population de Basse-Bretagne (partie Ouest de la Bretagne) qui parlait le breton. C’était leur langue maternelle, leur langue principale. Une moitié de ces Bas-Bretons ne parlait d’ailleurs pas le français ; l’autre moitié parlait les deux langues.

En quelques années, le nombre de locuteurs du breton a chuté radicalement. Maiwenn Raynaudon-Kerzerho décrit la situation :

« En 1950, un million de personnes parlaient breton. Un million, cela représente près de 75 % des habitants de Basse-Bretagne (…). Pour beaucoup de gens, c’est même alors la langue dans laquelle ils sont le plus à l’aise. La chute est brutale : cinquante ans plus tard, on ne compte plus que 200 000 bretonnants. En l’espace de deux générations, une langue vivante, présente dans la rue, les bistros, les boutiques et, surtout, dans l’intimité des familles, a été effacée du décor. Les sociolinguistes estiment que le destin tragique du breton est sans doute sans équivalent en Europe.

L’explication ? Elle réside d’abord dans la guerre sans merci que la République française a menée contre toutes les identités présentes sur son territoire. Le rouleau compresseur qu’elle a déployé pour niveler les différences a été redoutablement efficace. Par l’école, on a ainsi fait pénétrer dans la tête de générations d’enfants bretons les subtilités grammaticales françaises, tout en leur instillant au passage la honte de leur parler millénaire. »

Aujourd’hui, ce ne sont donc plus que 3,12 % des Bretons qui parlent leur langue. Le breton est considéré comme sérieusement en danger d’extinction par l’UNESCO.

En entendant ces chiffres, j’ai eu la sensation qu’on m’annonçait que ma mère était atteinte d’un cancer. Le choc, puis les questions désespérées. Combien de temps encore ? Est-elle condamnée ? Mais surtout, que peut-on faire ? Y a-t-il quoi que ce soit qu’on puisse faire pour sauver ce trésor culturel, ce pont qui nous relie à nos ancêtres, transmis de génération en génération depuis des siècles ?

Il existe une solution bien simple : ouvrir plus d’écoles bilingues breton-français, ou unilingues bretonnes, pour transmettre aux enfants la langue qui n’a pas été transmise à leurs parents, comme le font actuellement les écoles Diwan. Ce sont ces écoles et les organismes de formation pour adultes – comme celui où je me rends chaque jour – qui portent l’espoir pour garder en vie cette langue.

Seul problème. L’État français préfère allouer le budget régional au tourisme (57,69 millions d’euros entre 2013 et 2016, soit 20 millions par an) plutôt qu’à des questions triviales comme le logement, la santé ou une culture millénaire (9,4 millions d’euros pour le breton ET le gallo en 2023).

Voilà comment on tue une langue.

Bugale BreizhEnfants de Bretagne
Aet int d’ar strad,
Ar breur, ar gwaz, ar mab, an tad.
Douget ar samm
Ga’r c’hoar, ar wreg, ar verc’h, ar vamm.
 
[Diskan] Baling, balaoñ, baling, balaoñ,
Baling, balaoñ, ma mamm ‘zo klañv.
Baling, balaoñ, baling, balaoñ,
Baling, balaoñ, ma bro ‘zo klañv.
 
Aet eo ar plac’h,
He c’hoef war he fenn, ur bed en he sac’h.
Diskennet eo don, don,
Da zont da vout matezh, gast pe itron.
 
Aet int d’ar brezel,
Poket d’ur skeudenn just a-raok mervel.
Pet er bed, pet ‘zo bet o stouiñ o fenn
Ha kollet ganto o enor, o gwad trapenn ‘oant re seven?
 
Aet int d’ar vourc’h
Da zeskiñ gerioù an estren ‘lâre dezhe ‘oant moc’h.
Fur int bet, sentus, rostet ga’r vezh,
Ken neusont lonket, dislonket, kac’het o yezh.
 
Aet int d’ar vourc’h
Da lipat revr an estren ‘lâre dezhe ‘oant kaoc’h.
Cheñchet dilhad, cheñchet genoù,
Ha fier-ruz da zougen an triliv.
 
Bugale Breizh ‘zo kousket moñs.
Ga’ piv an diaoul ‘int bet sanket ba’r foñs?
War ar c’houc’h, leizh a roudoù ‘zo,
Met ar re vras ‘zo kreñv, den tra ne lâro.
Met ar re vras ‘zo kreñv, den grik ne ranno.
Ils sont allés au fond,
Le frère, le mari, le fils, le père.
Le fardeau est porté par
La sœur, la femme, la fille, la mère.
 
[Refrain] Baling, balaoñ, baling, balaoñ,
Baling, balaoñ, ma mère est malade.
Baling, balaoñ, baling, balaoñ,
Baling, balaoñ, mon pays est malade.
 
La fille est partie,
Sa coiffe sur la tête, un monde dans son sac.
Elle est descendue bien bas
Pour devenir bonne, putain ou dame.
 
Ils sont allés à la guerre,
Ont embrassé une photo juste avant de mourir.
Combien au monde, combien ont baissé la tête
Et perdu leur honneur, leur sang parce qu’ils étaient trop polis ?
 
Ils sont allés à la ville
Pour apprendre les mots de l’étranger qui leur disait qu’ils étaient des cochons.
Ils ont été sages, obéissants, cuits de honte,
Si bien qu’ils ont avalé, vomi et chié leur langue.
 
Ils sont allés à la ville
Pour lécher le cul de l’étranger qui leur disait qu’ils étaient de la merde.
Ils ont changé de vêtements, changé de bouche,
Et sont fiers comme des coqs de porter le drapeau tricolore.
 
Les enfants de la Bretagne dorment à poings fermés,
Qui diable les a fait sombrer au fond ?
Sur la coque, il y a beaucoup de marques,
Mais les grands sont forts, personne ne dira rien.
Mais les grands sont forts, personne ne pipera mot.
Source : https://lyricstranslate.com/fr/bugale-breizh-enfants-de-bretagne.html

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