Notre accent se manifeste sur l’ensemble des sons que nous prononçons. Pour l’améliorer, il faut examiner quels sons nous produisons réellement, et pour cela, il faut s’intéresser à la notion de phonème.
Qu’est-ce qu’un phonème ? La définition la plus simple dirait qu’un phonème, c’est un son. Dans le mot chat, on entend deux sons : CH et A, ce mot contient donc deux phonèmes. Dans le mot table, on entend T, A, B et L, ce sont quatre sons, donc quatre phonèmes.
Les types de phonèmes
Les phonèmes se rangent dans trois catégories : les phonèmes vocaliques, semi-vocaliques et consonantiques. A est un phonème vocalique, autrement dit une voyelle, tandis que CH, T, B et L sont des phonèmes consonantiques, autrement dit des consonnes.
Les phonèmes semi-vocaliques servent à former des diphtongues. Qu’est-ce qu’une diphtongue? Il s’agit d’une syllabe contenant deux sons voyelles. Par exemple, le mot loi contient deux voyelles, OU et A, mais il s’agit d’une seule syllabe (sinon, on prononcerait loua). Ici, OU est un phonème semi-vocalique : il ne représente pas à lui seul une voyelle. De même dans le mot anglais why : on y trouve les sons W, A et I, mais à eux trois ils ne forment qu’une seule syllabe. W et I sont ici des phonèmes semi-vocaliques.
Phonèmes et lettres
Un phonème est un son et non une lettre : les lettres peuvent être muettes, comme le E de table ou le T de chat, elles peuvent se prononcer de différentes manières chez une même langue (le A ne se prononce pas pareil dans ma, mais, maux, main) ou d’une langue à l’autre (le E ne se prononce pas pareil en anglais, en allemand et en roumain)… en bref, les lettres sont très volatiles. Comment alors retranscrire les sons de manière claire ?
Il existe pour cela un alphabet phonétique international (API) qui associe un signe graphique à chaque son, afin d’avoir une représentation des phonèmes qui soit commune à tout le monde. Le phonème A s’écrit /a/, le phonème CH s’écrit /ʃ/, le phonème T s’écrit /t/, etc. Ainsi, on peut écrire la prononciation exacte de tous les mots de toutes les langues. Le mot chat s’écrit alors en API /ʃa/, et le mot why, /waɪ/.
Voilà quelques autres exemples de signes de l’API pour différents phonèmes correspondant à la lettre U dans quelques langues :
Phonème dans un mot | Le phonème transcrit en API |
vu (français) | /y/ |
Glück (allemand) | /ʏ/ |
mucho (espagnol) | /u/ |
tsuki (japonais) | /ɯ/ |
luck (anglais) | /ʌ/ |
put (anglais) | /ʊ/ |
pure (anglais) | /jʊ/ |
Connaître partiellement l’API est extrêmement utile : vous pouvez prononcer correctement n’importe quel mot du premier coup, ou même parler avec un accent québecois juste en déchiffrant les transcriptions phonologiques données.
Vous pouvez trouver la transcription de n’importe quel mot en API sur Wiktionnaire (cherchez sur le wiktionnaire anglais, Wiktionary, ou le wiktionnaire de votre langue si vous ne trouvez pas en français). Pour écrire vous-même en API, vous pouvez utiliser le site Lexilogos. Il existe aussi des outils pour transcrire automatiquement un texte en API, comme le site toPhonetics pour l’anglais ou EasyPronunciation.com pour diverses langues.
En résumé, le français a 26 lettres mais compte 36 phonèmes : 16 phonèmes vocaliques, 3 semi-vocaliques et 17 consonantiques (nombres changeant selon l’accent régional).
Le set de phonèmes de chaque langue
Chaque langue a son propre set de phonèmes. L’anglais a son fameux TH (/ð/ de this et /θ/ de mouth), l’espagnol a sa jota transcrite /x/ ainsi que son R roulé transcrit /r/, le français a son R guttural noté /ʁ/ et ses sons E comme dans sœur et vœu, respectivement notés /ø/ et /œ/… on peut ainsi dénombrer le nombre précis de phonèmes que possède chaque langue.
Le japonais, par exemple, a environ 22 phonèmes, l’espagnol en a 25, le portugais et le français en ont environ 37 et le danois 52. Le japonais et l’espagnol n’ont en effet que 5 sons voyelles, contre 14 en portugais, 17 en français et 32 en danois. Vous pouvez voir ici le set de phonèmes du français.
Certains phonèmes sont plus courants que d’autres. Les phonèmes consonantiques /m/, /p/, /t/, /k/ sont extrêmement courants, ainsi que les vocaliques /i/, /a/, et /u/.
D’autres phonèmes, au contraire, sont relativement rares. C’est le cas du son I dur du russe et de l’ukrainien (en cyrillique russe Ы, en cyrillique ukrainien И, en API /ɨ/). Ce I dur se retrouve chez quelques autres langues telles que le suédois, le mandarin, l’amharique, l’apalai, le gallois du nord, le mapudungun et le yagua. En tout cas selon Wikipédia. On peut encore citer le son F très doux du japonais (en API /ɸ/, comme dans fuyu 冬, hiver). Ce F est différent du F des langues européennes, mais se retrouve en ewe, en hébreu mishnique, en breton ou encore en turkmène.
Plus votre langue maternelle et votre langue apprise ont de phonèmes en commun, plus il sera facile de prononcer votre langue apprise. Prenons par exemple le mot espagnol animal ou le mot japonais senaka (背中, dos). Si nous voulons être pointilleux, il faudra noter que les voyelles A et I de animal sont légèrement plus fermées en espagnol qu’en français, et que le K s’articule un peu différemment en japonais. Cependant tous ces sons sont très similaires entre le français et l’espagnol/le japonais, c’est pourquoi un francophone pourra prononcer sans difficulté ces mots.
Au contraire, un anglophone aura un accent en prononçant ces deux mêmes mots : il aura tendance à prononcer les voyelles à l’anglaise, durcir les L finaux (énimol), ajouter des diphtongues ou des H aspirés après certaines consonnes (seinek’ha) – ceci car il s’appuie sur la prononciation de sa propre langue. Les phonèmes de l’anglais ne sont pas ceux du japonais ou de l’espagnol, c’est pourquoi les anglophones devront fournir un effort conscient pour avoir un accent fidèle dans ces langues. Nous prononçons les langues étrangères à travers le filtre phonologique de notre langue maternelle.
Que le japonais soit facile à prononcer pour un francophone ne signifie malheureusement pas que la réciproque soit vrai. Un nipponophone aura du mal à prononcer le français car, si les phonèmes japonais se retrouvent en français, de très nombreux phonèmes français, eux, n’existent pas en japonais. On peut citer par exemple les trois voyelles nasales, les deux voyelles E, le R guttural, le V, etc. Il sera par exemple particulièrement ardu de prononcer le mot heureux pour un Japonais débutant en français : la phonologie du japonais (de même que celle de l’espagnol, de l’anglais et de l’italien) ne comporte aucun des sons qui constituent le mot heureux.
Au contraire, la phonologie de l’italien et de l’espagnol étant très similaire, un Espagnol pourra sans difficulté prononcer l’italien – et inversement.
Mais même si un phonème semble commun à deux langues, il arrive souvent qu’il soit différent. Par exemple, l’italien et l’espagnol ont tous deux le son TCH, en API / t͡ʃ/, par exemple dans les mots ciao (italien) et chico (espagnol). Cependant, le son /ʃ/ n’est pas tout à fait le même dans ces deux langues : il est plus dur en italien et plus doux en espagnol. Physiologiquement, on peut constater que le point d’articulation de ce phonème est plus antérieur en espagnol (vers l’avant de la bouche) et plus postérieur en italien (vers l’arrière de la bouche).
Cela pourrait sembler anecdotique, mais ce type de subtilité touche en réalité la majorité des sons communs à deux langues. Lorsqu’on apprend une nouvelle langue, celle-ci a donc toujours des phonèmes nouveaux même s’ils nous semblent déjà familiers. Ces subtilités sont à l’origine de notre accent lorsque nous parlons une langue étrangère.
Les phonèmes nouveaux lorsqu’on apprend une langue
Au-delà des sons complètement nouveaux tels que le H anglais, le Q arabe ou la jota espagnole, on peut noter des dizaines de subtilités entre les phonologies des langues. On trouve ainsi :
- Des consonnes plus dures que dans notre langue maternelle. Il existe par exemple un L dur en anglais, en portugais et en russe, transcrit /ɫ/ en API. Exemples : fall (tomber en anglais), escola (école en portugais), luna (луна, lune en russe).
- Des consonnes plus douces que dans notre langue maternelle. Par exemple, le F japonais (en API /ɸ/) : lors de sa réalisation, les lèvres ne doivent pas rentrer en contact. Exemple : futari (二人, deux personnes). On peut aussi citer le son doux SH de l’allemand (en API /ç/), comme dans le mot ich.
- Des voyelles plus fermées que dans notre langue maternelle. C’est souvent le cas des voyelles atones (c’est-à-dire non accentuées ; pour en savoir plus, voir l’article sur l’accent tonique). Les voyelles O et OU sont plus profondes en russe, par exemple : kom (ком, boule), luk (лук, oignon). Notez comment le K et le L sont plus durs qu’en français ; kom et luk sont différents des mots français Côme et look.
- Des voyelles plus ouvertes que dans notre langue maternelle. On en trouve par exemple en italien et en ukrainien : le O de parlerò (je parlerai en italien) ou de holova (голова, tête en ukrainien), ou encore le È de tèbè (тебе, te en ukrainien)
Bien entendu, je liste ici les sons différents et/ou nouveaux pour un francophone, et ce dans la limite de mes propres connaissances en terme de phonologies de langues étrangères. Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur les phonèmes, mais je vous partage ici les informations les plus utiles à l’apprentissage de langues, non à la méthode linguistique.
Maintenant que peut-on faire de tout ça concrètement ? Avoir conscience que chaque langue a sa propre collection de phonèmes vous permettra de regarder de plus près comment se prononcent les sons de la langue que vous apprenez. Travailler en détail votre prononciation de chaque phonème vous aidera considérablement à améliorer votre accent.